Le Vernis

Le vernis est de loin la chose qu’elle préfère, au point qu’à n’en pas douter, c’est bien là ce qui lui tient lieu de maquillage. Elle ne se poudre pas, elle s’enduit. Elle ne farde pas: elle étale.

Quant à son rire, carnassier, il résonne aux oreille de ceux qui l’entendent comme la crécelle d’un vieux jouet rouillé abandonné dans un jardin de banlieue par un enfant trop vite grandi que la violence a arraché précocement à l’insouciance des temps juvéniles. Il y a en elle quelque chose de cassé, qui ne ressemble à rien et qui pourtant la définit. Sans élégance, elle virevolte et froufroute de blanc vêtue quand le noir s’impose; se réjouit d’être la seule à oser la mi-hauteur quand tout le monde s’impose la stricte élégance du long et du mince: en un mot, elle détonne partout où elle est et n’est jamais là où il faudrait qu’elle soit. C’est ainsi qu’elle parvient, en société, non pas à occuper le centre des attentions qu’elle convoite mais à détourner les regard vers elle, tout le monde - elle y compris - feignant de croire qu’elle est un sujet quand il est évidemment convenu qu’elle n’est rien. Les vraies princesses des salons tolèrent avec vigilance cette habitude sans noblesse, car elle détourne les hommes le peu de temps qui leur est nécessaire pour respirer. Elle sait pertinemment que ces moments sont des miettes : peu importe, car de petites victoires en succès autoproclamés (elle est son meilleur public), elle grapille progressivement du lustre qu’elle convoite et à la fin, fine mouche, s’empare de la victoire qui consiste, en société de notre temps, à se faire servir à boire en grande quantité par les personnalités les plus en-vue, c’est-à-dire les plus riches, du salon. Car tel est son véritable vice, la convoitise, qui l’apparente à la courtisane sans la finesse ni l’esprit.

La voilà posée comme un brasero au milieu d’une foule avide de sans-abri: pourrait-elle en profiter pour partager, rayonner et pour tout dire, illustrer l’intelligence dont on la soupçonne à ce moment-là? Car il faut être bien maline pour être parvenue à occuper, un temps, cette position tant convoitée; se pourrait-il qu’elle fût moins sotte que son accoutrement ne le laissait penser ? Hélas, vient le temps d’une question, d’un silence, d’une hésitation: la voix rauque et maladroite dissipe la confusion qui s’était saisie de l’assistance et les regards, gênés, se détournent pendant que meurtrie au fond d’elle-même elle bat en retraite vers la porte la plus proche, un paquet de cigarettes à la main et le briquet dans l’autre, afin de satisfaire le désir inhumain de consumer la honte qui l’habite.

Ce qui compte en société quand on n’a pour soi ni l’esprit ni le bon goût, c’est de feindre l’amitié sans jamais en éprouver. Surtout ne jamais se laisser atteindre par ce mal contagieux qui trouble le jugement et dissipe les malentendus. Bien au contraire, et c’est une question de survie, il faut fermer son coeur à toute humanité pour n’être jamais suspectée par les maîtres dont on revendique la protection de partager une idée quelconque de bienfaisance bienveillante. Au moment où la disgrâce frappe celui qui vous a nourri et fait grandir: il faut avec promptitude lui couper la tête sans se laisser attendrir par rien qui puisse passer pour de la compassion. C’est là une vertu des faibles ou des chrétiens. Non au contraire, il faut savoir d’un trait de plume araser le domaine et fermer son esprit à toute tentation de connivence qui contredirait les intérêts.

Du coup, on comprend mieux l’intérêt du vernis.

Xavier-Laurent Salvador