Caractères

Les deux piliers des caractères sont sans aucun doute la constance et la clairvoyance. Celui à qui le premier fait défaut souffre d’un excès de lucidité. Quant à celui à qui manque le second, il entame un long chemin qui partant de l’entêtement le conduit au fanatisme.

Caton le vieux est puissant. Ennobli de sociale importance, il parcourt les couloirs des administrations, l’air soucieux et le front bas. Il arbore l’air sûr de celui qui connaît ses soutiens, là-haut. Il inspire la crainte en raison du mystère, cent fois révélé, de son ascension dans les sphères du pouvoir. “Il a su, dit-on, s’attirer la sympathie des encore-plus-puissants par sa docilité et sa constance dans les épreuves pour mener à bien ces projets si importants”. Il n’a jamais oublié, à chaque fois qu’il le pouvait, de précipiter “la chute de ses adversaires”. Ayant perdu très jeune toute bienveillance, il a fini par confondre le service de ses intérêts avec l’amitié. Vient le jour où parvenu au sommet, croit-il, quelques niches d’injustice auxquelles il souhaiterait, pour son estime personnelle aussi bien qu’en raison d’une mission de justice dont il sent bien que le pouvoir l’a investi, porter remède se manifestent sous ses yeux.

“Je suis un bon souverain” s’exclame le hobereau, “et ce sont des choses que font les bons souverains. Or ça, que l’on m’écoute !”. Oui mais voilà, la chose est entendue et ceux-là mêmes qui l’assistaient lui font voir combien sa lubie d’honnêteté pourrait causer du tort à telle autre folie dont il ignorait qu’il dépendait.

“J’ai le pouvoir”, pense-t-il.

Il entame alors sa campagne au nom de l’intérêt général, la vertu des démunis, dont il découvre la puissance fédératrice chez les petits dont il ignorait jusque-là l’existence. Il feint d’en découvrir l’importance et croit qu’il va pouvoir inverser, sur son nom, le rapport de force qui l’a porté sur son trône. Il intrigue, écrit, téléphone. Il mobilise, alerte et en vient même à réconforter les misérables souffrants dont il partage la lucidité.

Puis vient le temps des décisions: désavoué par son camp, humilié par les autres, raillé enfin par tous, Caton tout déconfit s’interroge devant son miroir: “comment les bons souverains faisaient-ils pour exercer leur sagesse ?” Et comprend, au moment de prendre sa retraite, que le pouvoir n’est pas la puissance.

Xavier-Laurent Salvador