libérer la parole

Ceux qui veulent absolument « libérer la parole » sur un tabou en particulier sont les premiers à s’étonner que la parole puisse se libérer sur tous les tabous, de sorte qu’ils deviennent rapidement les premiers censeurs de la parole d’autrui. Ce faisant, ils empruntent à leurs ennemis d’avant les moyens de faire taire sur tous les autres sujets que ceux qu’ils trouvent importants, réinventant les moyens d’une morale; à ceci près qu’à défaut d’être consensuelle, elle n’est que particulière et sans envergure, c’est-à-dire contestable. Et comme chaque petit groupe, chaque petite tribu, fait de même, on se retrouve avec toute une série de Torquemada aux petits pieds qui voueraient aux gémonies leurs voisins si seulement « ils étaient vraiment libres ». Où l’on comprend que la liberté n’est rien sans les limites du droit…

Ainsi en est-il de ces braves socios qui libèrent la parole sur la mort, sur des pratiques sexuelles qu’on réservait autrefois aux secrets des alcôves: ils s’étonnent de susciter en regard des libérations de paroles extrêmes et contre productives pour la cause. Et plus les positions se clivent, plus les Torquemada se sentent renforcés dans leur légitimité à zigouiller tout ce qui bouge.

C’est peut être que le lieu du débat n’est pas forcément celui de la polémique, ni de la rue. Les avancées progressistes et sociales se gagnent dans les institutions démocratiques, pas à coup de barre de fer dans la rue. A moins que le véritable enjeu soit en en fait de vouloir reconquérir le droit de se balancer des mandales à tout-va, à l’ancienne et que la « parole » ne soit qu’un postiche de revendication de violence. Où l’on comprend que la fraternité n’est possible que dans le service d’un bien commun et partagé.

Les vérités en effet que chacun croit défendre ne sont pas plus respectables quand elles sont sociales que quand elles sont religieuses: dès lors qu’il s’agit de réguler l’espace public, il existe une valeur supérieure qui est la clé de voûte de la vérité - c’est le bien commun ou l’intérêt général au service de qui œuvrent les serviteurs de l’état et face à qui les citoyens ne pèsent ni plus ni moins que le poids de leur vote citoyen. Pas de « statistiques » républicaines : c’est pourquoi l’égalité des citoyens implique une représentation élective garantissant l’équité des débats. D’ailleurs, vouloir une chambre « représentante des catégories socio-économiques » par exemple, c’est renouer avec les confréries médiévales où le nombre assurait la force. Ce qui est absurde pour les confréries l’est pour tous les lobbies. Où l’on comprend que l’égalité est une clé de coûte de la citoyenneté.

Bref, flanquer des mandales est un passe-temps agréable, soit: mais l’abandon de la controverse au profit des polémiques libératrices de parole me font craindre des lendemains difficiles, sur le mode « retour aux temps des barbares » - c’est-à-dire des « privés de parole » (ce qui est une enfance).

Après, vous pouvez ne pas agréer: mon but était juste de libérer une parole dans le débat. On se retrouve derrière l’église pour en causer ?

Xavier-Laurent Salvador