Thêatre(s)

Échange avec les étudiants hier au sujet de l’empêchement par l’irruption avec violence de la pièce de Démodocos. Le grimage, pour eux, est évidemment raciste et l’intervention, évidemment justifiée. On réalise alors à quel point ils vivent dans un univers fondé sur des paradigmes à la fluidité insaisissable: ils condamnent, à juste titre, l’agression avec violence du trans à Opéra au prétexte qu’elle a le droit de s’habiller comme elle le veut puisque c’est l’expression de sa sincérité. “Elle a bien le droit de s’habiller comme ça”. Autrement dit, ils ne condamnent pas la violence au nom d’un principe universel qui serait la respectabilité de la personne humaine: à la limite (c’est moi qui force le trait), l’agression aurait visé une personne déguisée pour caricaturer la féminité, pourquoi pas la tabasser ? Mais là, ce n’est pas du déguisement, au contraire: c’est l’expression de quelque chose de vrai. Elle exprimait sa vraie personne féminine que son étant masculin dissimule 99% du temps où la société la contraint à s’habiller en homme. On ne doit pas l’agresser parce qu’elle est sincère en s’habillant ainsi, ce n’est pas un travestissement.

En revanche, et fort logiquement si je puis dire, ils trouvent normal qu’on proteste avec violence contre une pièce de théâtre parce que les acteurs de théâtre n’ont pas le droit de se grimer en fonçant la peau. Du travestissement théâtral découle la condamnation légitime en insincérité. D’ailleurs, le problème ne portait pas sur l’emploi du masque, mais sur le souvenir transmis par la rumeur que lors de précédentes manifestations: ils avaient foncé leur peau avec du fond du teint, du maquillage. Crime de travestissement. A les écouter, seules les femmes peuvent jouer des rôles de femmes par exemple. Sauf sincérité ex-travestie.

Mais ça devient compliqué: seuls de vrais hommes biologiques au ressenti trans pourraient se grimer en femme (mais non, ce n’est pas se grimer) pour jouer des rôles de femmes. En revanche, à la question de savoir si des hommes peuvent lire des livres de femmes: la réponse est “oui”. Quant à savoir pourquoi ? Ils ne peuvent pas répondre.

Le théâtre hypocrite est mort à leurs yeux.

Quant à moi, je pense que la vraie scène est dans la rue.

Et quant à leur faire comprendre que la dualité de l’âme et du corps repose empiriquement sur le sentiment qu’ils ont que le travestissement puisse être sincère, c’est un concept que je n’ose même pas évoquer.

Xavier-Laurent Salvador