L'autre à la parole empêchée

Quant à l’autre, là, j’ai beau y réfléchir, il ne me vient rien.

Est-ce parce qu’il est affligé d’un bégaiement prononcé dans toutes les langues qu’il croit maîtriser, ou parce qu’il se dégage de sa personne un constant ennui que rien ne vient égayer ? Je n’en sais rien. Il est des personnes, dans les salons du Monde, qui sont l’image de la mort. Un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, puis les portes de corne et d’ivoire du songe lointain. Et soudain, la brutale irruption du réel dont la frêle assurance n’est guère étayée. Quelles que soient les circonstances, le réel porte le Jean: le Jean en en pantalon, en veste, en chemise, en chaussures. Tout est bleuâtre et pâle, jusqu’à son teint et son haleine.

Ah, il me vient à l’esprit que ses jambes arquées lui confèrent une démarche bleue également.

Sans être grand, il n’est pas petit; il n’est ni maladroit, ni adroit; ses saillies sont lentes et sa réserve, que l’on pourrait prendre pour une sagesse, se révèle bien souvent une timidité hargneuse liée à sa parole, empêtrée. Il a pourtant une grande force: l’obséquiosité servile avec laquelle il suit obstinément les gens dont il craint la force, le pouvoir et l’argent. Il est l’homme de tous les partis politiques sans idéologie, centriste avec les uns; modéré avec les autres. Ses idées sont en accord avec ses actions: sans intérêt.

Mais soudain vient l’opportunité d’écrire, et le mail révèle alors la bestialité qui sommeillait en lui. Loin, à l’abri derrière son écran, sa hargne se reveille: il réclame des têtes, exige le respect, ordonne, déclare, déclame, ironise. Héros nocturne, très vite rattrapé par le soleil, il se tait aussitôt que la chose est sue. Et rentre avant le petit jour, pareil au gastéropode sans coquille dont il partage les caractères principaux: la bave et la mollesse, dans les anfractuosités des roches de la cité afin d’y fuir la lumière qu’il redoute et la foule, qu’il craint.

Xavier-Laurent Salvador