Pamphile est chercheur

Assis derrière son clavier, Pamphile cherche. Je veux dire par là qu’il “cherche” au sens qu’il donne à ce mot dans les quelques dîners où il est encore invité, lorsque un voisin finalement lassé de devoir sans cesse prouver tout ce qu’il dit à un malotru qui - quel que soit le sujet qui soit abordé, de la guerre à la maladie en pensant par l’éducation des enfants - sait mieux que lui, affirme qu’il sait mieux, revendique d’être un meilleur sachant, se définit somme toute comme sachant et faisant d’ailleurs de l’aveu de son ignorance la preuve que lui “sait” bien qu’il est ignorant (car il y a des façons de savoir qui sont, tout du moins en est-il persuadé, meilleures que d’autres) - finit par poser la question que son adversaire attendait: “que fais-tu dans la vie ?” et qu’il répond, avec un un sourire qu’il croit modeste mais qui n’est en fait qu’une arrogance: “je cherche, je suis chercheur”.

Fasciné par le propre reflet de son image dans le regard d’autrui, il se perd dans la contemplation de lui-même. Qu’a-t-il fait pour mériter tant de gloire et de reconnaissance, une rente à vie qui le préserve du malheur, du temps pour s’adonner à ses hobbies érigés au rang “d’objets de recherche” ? A-t-il remporté des batailles ? Fait gagner de l’argent à ses maîtres, brillé par ses réponses, emporté l’admiration de tous par sa superbe ? A-t-il au moins remporté un concours d’éloquence ? A-t-il au moins déjà travaillé ?

A y bien réfléchir, sans doute ne vaut-il mieux pas poser la question. Après de laborieuses années d’études, passées dans les recoins ternes d’une université qui mérite - mais pas dans le domaine qu’il a choisi - la rencontre avec un directeur de thèse affamé lui a ouvert, non sans difficulté, la voie de la thèse. Accaparé déjà à 20 ans par “sa recherche”, le voilà dispensé de devoir étudier plus ou mieux. Pas de temps pour les concours: il faut être bien bête - pense-t-il - pour se détourner un instant de soi-même (je veux dire: de sa thèse) et le passer à réussir pour de vrai. La thèse soutenue, une formalité entre amis, et voilà Pamphile passant des bancs des amphis au bureau du maître. Sans jamais avoir travaillé, sans jamais avoir enseigné - sans savoir ce qu’apprendre veut dire, ni avoir traversé les épreuves que les plus anciens ont connues - le voilà “collègue, pair, égal, Maître”… tout ça dans la même phrase.

Ignorant de tout, il peut enfin faire métier de professer. Sa thèse, toujours recommencée: une passion de jeunesse rancie qui ne produit rien.

Mais peu importe, d’égalités en parités: toutes les impostures s’offrent à lui dès lors que dans le domaine des lettres rien ne vient jamais discriminer le bon du mauvais. Untel est-il mieux reconnu que lui à l’étranger ? C’est évidemment que sa production ne vaut rien pour la France. Il faut se gorger de mots, et ne croire qu’en soi-même: de combines en conspirations (tout ce temps libre lui laisse le loisir de faire mal), de manoeuvres syndicales en manipulations, le voilà qui se fait remarquer dans une instance ou une autre. A peine attrape-t-il un brin de pouvoir en se faisant nommer secrétaire d’un bureau quelconque que le voilà devenu Ministre: il s’affaire, écrit, insulte, revendique et donne son avis. C’est une opinion, il croit que c’est de la science.

Nul inspecteur ne le contredira jamais, nul fait ne le décevra: il est à lui seul la seule mesure de sa valeur. Ce genre d’individus revendique d’appartenir à un groupe qu’il croit supérieur: il en est la caricature décadente. Poussant l’imposture jusqu’au bout, gavé de titres ronflants qui ne servent à l’institution qu’à diluer la valeur dans la térébenthine de la médiocrité pour ne jamais avoir à la payer - c’est l’idiot utile d’un système auquel il ne comprendra jamais rien.

Mais c’est trop tard. Car Pamphile a un pouvoir, et un seul: l’ubiquité. Il est partout, partout cloné. Démultiplié à l’envi, il oeuvre à droite et à gauche pour se cloner et ne recruter que lui-même ou ses clones. Il avance dans l’ombre, puis un jour, à la faveur d’un coup d’éclair: son visage apparaît aux yeux de tous. Et tous de se détourner: qu’importe somme-toute qu’il s’active dans l’ombre d’un désert où les oasis ont tari ?Attend-on vraiment de lui quelque chose ? Il est mauvais enseignant: mais qui s’en soucie ? C’est un “cherchant”. Il trafique ses heures, profite de la moindre occasion pour décevoir ses étudiants, accumule les procédures contre lui: qui s’en soucie, c’est un cherchant ? Quant à sa recherche, qui consiste à accumuler des notes de lectures, elle n’est pas bien reluisante. Mais qui s’en soucie ? Le titre lui suffit.

Assis sur sa chaise, il cherche. Quant à savoir quoi ? Il ne le saura jamais. Je l’imagine comme Grandet, mourant et tendant les mains vers le crucifix en or du prêtre.

Xavier-Laurent Salvador