A Vaillant Coeur, Rien Impossible

Je vais vous raconter une histoire invraisemblable comme seule l’Institution est capable d’en produire. C’est un terreau tellement fertile pour l’imagination débridée et la jalousie que l’imposture - leur soeur jumelle - finit incontestablement par s’y épanouir comme une fleur humaine. Oui, car il existe des fleurs humaines, au même titre que l’on peut y trouver un champignon ou une serre humaine. (Pardon…)

Disons que je connais quelqu’un qui, par esprit taquin et un peu provoc’, signait ses mails à ses amis proches ou très proches d’un envoi en latin - d’une tournure empruntée à la prière eucharistique. Ça faisait intello, ça impressionnait le pécore. Et surtout, c’était un clin d’oeil un peu bravache et ‘achement malin dans un milieu qui ne brille pas par sa tolérance d’esprit à l’égard du mystique, du symbole et du transcendant destiné à ses amis, comme ses frères. C’était une formule marrante, qui incitait au courage et qui ne sort pas d’un cadre intime.

Cela l’amusait énormément, parce ce qu’en ce temps-là, il avait encore un peu d’humour et les épreuves de la fausse discipline qui consistait à faire croire à ceux qui le dépassaient qu’ils le méritaient ne l’avait pas encore épuisé. Comme disait Weber, être un homme intelligent implique de tolérer de voir passer les médiocres devant soi. Et c’est une ascèse pénible, mais ô combien formatrice. D’autant que la quantité de médiocrité contenue en l’individu est inversement proportionnelle à son inhibition: je veux dire par là que plus un individu est médiocre, moins il se gêne pour marcher sur les arpions de ceux qu’il devrait au contraire ménager.

On en était là de cette petite farce quand il me racontait qu’il était assez amusé de voir ses amis parmi les plus entêtés dans la lutte contre toute idée confessionnelle lui emprunter la formule pour lui écrire à lui seul. C’était sympa.

La chose prend alors une tournure tragi-comique: accrochez-vous.

Un homme haut placé, témoin de ces échanges, connu de tous et élu à des dignités qui font trembler le loup; la belette et le petit lapin jusques aux tréfonds de leur tanière et de leur terrier respectif; un homme dont la dignité impériale le dispute à la classe internationale, un chef en somme, pourquoi pas un Directeur-avec-un-D-majuscule, presque un Seigneur-mais-avec-deux-S-majuscule, a jugé que la formule lui convenait.

Et poussant la flagornerie de soi-même - l’imposture, donc - jusqu’à non seulement plagier, mais surtout employer une formule à laquelle il ne comprend rien pour le propre compte de son intérêt d’orgueil : le voilà qui se met à pérorer in fine de ses courriers officiels dans un latin emprunté à la messe, et à la plus belle partie de celle-là d’ailleurs.

Et croyez moi si vous voulez, mais l’ironie touche à son comble: ce Bouvard-et-Pécuchet là est un homme d’une grande piété, un croyant comme on en jamais vu qui prie plus que la moyenne, parce que cela l’inspire dans les situations difficiles.

Mais il est protestant.

xpdr.

Xavier-Laurent Salvador