Petits meurtres

Il y avait écrit “élimination” sur la boîte de Tisane. J’en ai acheté trois boîtes pour ma belle-mère. Ca ne fonctionne pas.

Caractères

Les deux piliers des caractères sont sans aucun doute la constance et la clairvoyance. Celui à qui le premier fait défaut souffre d’un excès de lucidité. Quant à celui à qui manque le second, il entame un long chemin qui partant de l’entêtement le conduit au fanatisme.

Caton le vieux est puissant. Ennobli de sociale importance, il parcourt les couloirs des administrations, l’air soucieux et le front bas. Il arbore l’air sûr de celui qui connaît ses soutiens, là-haut. Il inspire la crainte en raison du mystère, cent fois révélé, de son ascension dans les sphères du pouvoir. “Il a su, dit-on, s’attirer la sympathie des encore-plus-puissants par sa docilité et sa constance dans les épreuves pour mener à bien ces projets si importants”. Il n’a jamais oublié, à chaque fois qu’il le pouvait, de précipiter “la chute de ses adversaires”. Ayant perdu très jeune toute bienveillance, il a fini par confondre le service de ses intérêts avec l’amitié. Vient le jour où parvenu au sommet, croit-il, quelques niches d’injustice auxquelles il souhaiterait, pour son estime personnelle aussi bien qu’en raison d’une mission de justice dont il sent bien que le pouvoir l’a investi, porter remède se manifestent sous ses yeux.

“Je suis un bon souverain” s’exclame le hobereau, “et ce sont des choses que font les bons souverains. Or ça, que l’on m’écoute !”. Oui mais voilà, la chose est entendue et ceux-là mêmes qui l’assistaient lui font voir combien sa lubie d’honnêteté pourrait causer du tort à telle autre folie dont il ignorait qu’il dépendait.

“J’ai le pouvoir”, pense-t-il.

Il entame alors sa campagne au nom de l’intérêt général, la vertu des démunis, dont il découvre la puissance fédératrice chez les petits dont il ignorait jusque-là l’existence. Il feint d’en découvrir l’importance et croit qu’il va pouvoir inverser, sur son nom, le rapport de force qui l’a porté sur son trône. Il intrigue, écrit, téléphone. Il mobilise, alerte et en vient même à réconforter les misérables souffrants dont il partage la lucidité.

Puis vient le temps des décisions: désavoué par son camp, humilié par les autres, raillé enfin par tous, Caton tout déconfit s’interroge devant son miroir: “comment les bons souverains faisaient-ils pour exercer leur sagesse ?” Et comprend, au moment de prendre sa retraite, que le pouvoir n’est pas la puissance.

Xavier-Laurent Salvador

Ninon va être mère

Ninon attend un heureux événement. C’est comme ça qu’ils appellent la chose à quoi elle se prépare. Cela fait quatre mois, mais il semble que ce soit depuis huit tant elle a les manières d’une parturiente et l’on ne se souvient plus, à vrai dire, du moment où la modification a eu lieu comme si tout jusqu’à ce jour ne l’avait préparé qu’à cette métamorphose.

Tout son être, tout son corps, crie au monde, à la société, aux siens : c’est de votre faute. Elle voue secrètement aux gémonies tous ceux qu’elle juge responsables de ça : les prêtres et leur mystique, les bourgeois et leurs codes, la famille illégitime, la société qui la concurrence, le prolétariat bien nommé, la nature et ses fantaisies, la loi enfin, Dieu Lui-Même qui n’en demandait pas tant et la terre qui continue de tourner malgré les vingt et un kilos supplémentaires dont elle l’inflige pour la ralentir et lui rappeler qui est la maîtresse ici-bas.

Le mari, le conjoint, ou quels que soient les noms qu’elle lui reconnaisse, ignorant de la nature du crime qu’il a commis n’entrevoit jamais les moyens de le faire pardonner. Il tempère alors son désir, sincère, d’être père avec celui d’élever l’enfant et comprend bien vite que ce sont là des choses qui, à y bien réfléchir, ne sont pas si liées que l’on essaie de nous le faire croire.

Fini le temps des apparences, croit-elle - mais il reviendra vite - Désormais, elle ne boit plus mais s’hydrate; ne s’assoit plus, mais repose son corps fatigué; ne mange plus, mais nourrit l’être qui la consume de l’intérieur; ne dort plus, non mais repose. Elle se conforme à l’état de nature, puisque la nature en a voulu ainsi. Elle ne mange que des choses qui lui plaisent, non pas pour satisfaire un désir, ce serait être égoïste, mais parce que cela lui est dicté par cette voix à qui elle obéit et qui lui murmure à l’oreille que ses fantaisies sont en fait des instincts respectables: on songe avec effroi aux cinq mois qui viendront !

Et Ninon de s’étonner qu’ayant atteint si vite les formes d’une parturiente, on lui demande d’attendre encore vingt semaines. Le temps vient de l’endurance, puis de la délivrance. Il en est ainsi des moeurs de notre temps: l’accouchement est le moment qui voit la naissance d’une mère.

Xavier-Laurent Salvador

Amour(s)

Depuis maintenant plus de 8 mois, l’épouse de Phaéton est partie. C’est déjà la deuxième fois que cela lui arrive: il n’y peut rien, voyez-vous. La nature est ainsi faite que selon lui l’homme n’est pas fait pour vivre en couple. Il est intarissable sur le sujet. Mais voilà, la solitude lui pèse.

Mignotte, qui n’est plus à l’âge des amourettes, s’est éprise un peu malgré elle de Phaéton. Sa douleur, qui n’est qu’un ennui, lui confère une profondeur, une intelligence qu’elle ne lui avait jamais remarquées auparavant. Elle va, elle virevolte autour de lui: elle ne veut pas qu’il s’ennuie à ses côtés. L’autre flatté n’en revient pas de tant d’attentions. Mais elle va plus loin, car elle n’ignore en rien qu’il a tendance à se laisser séduire. Avec elle, ce sera différent !

Et voilà qu’elle l’entretient sur la réforme de sa vie, le suit, le conseille et en un mot, l’instruit. De tout. Des bienfaits de manger bio, de prier, de faire du yoga, d’avoir des enfants et une bicyclette, de faire du sport, de lire et d’avoir des amis différents. Elle ne le lâche plus jusqu’à tant qu’il en devienne un autre tout différent. Quant à lui, conscient qu’il faut céder, accepte de se contrefaire, voit ses amis discrètement et ne boit plus qu’avec modération. Tant et si bien qu’un beau jour Mignotte réalise que l’homme qu’elle avait rencontré ne ressemble plus en rien à celui avec qui elle partage sa vie et commence aussitôt à lui en vouloir de sa lâcheté, de n’avoir pas su se défendre contre elle et d’avoir aussi facilement cédé à tous ses caprices.

Fort heureusement, la guerre n’est pas longue. Charmé par le doux regard d’une passante, l’autre a fui les ardeurs guerrières d’Athéna.

Il en va ainsi de notre temps: l’homme est plus fidèle en amour qu’on ne le croit. Mais à lui-même et personne d’autre.

Xavier-Laurent Salvador

Maître de soi même comme de l'Univers

[Maigri] Phaton est amaigri.

C’est un signe de richesse. Son visage exprime l’arrogance de l’homme excessif qui s’est assagi. Il se sent en cela bien supérieur à Thinon, le mince, et à l’athlétique Strongien. Tous deux en effet, que l’on n’a jamais vu ni ivres ni obèses sont soupçonnés au pire de jouir avec paresse du don de Nature, au mieux de basculer bientôt dans la démesure. Non, Phaton lui a fait ses preuves car il est revenu de l’enfer: il a “fait un travail sur soi”; contrairement aux deux autres dont il est prouvé qu’ils sont paresseux puisqu’ils n’ont pas maigri.

Ce “travail sur soi” est le brevet d’âge adulte de Phaton qui ne comprend pas qu’on ne l’admire pas pour ce travail. Son amaigrissement (non pas sa minceur !) est le signe de sa richesse. Ce qu’il ne saisit pas, c’est que le terme de son “travail sur soi” n’est jamais que la première étape du travail que l’homme sage a entrepris bien avant lui, sans se perdre en chemin. Mais voilà, Phaton veut avoir raison: il trépigne, vit à 50 ans ce qu’il aurait dû vivre à 25; s’impatiente des limites de la nature et se plaint: en un mot fait un caprice. Il en va ainsi de notre société qui voit les sages dépossédés de leur sagesse par des cuistres qui entrent difficilement dans le costume qu’ils usurpent.

Quant à ceux à qui la nature ne permet pas d’amaigrir, ceux-là portent aux yeux de Phaton le signe impardonnable de sa propre faiblesse dont le reflet lui brûle les yeux et dont il voudrait se débarrasser.

Xavier-Laurent Salvador